mardi 25 février 2025

Rouler à banneau ouvert

 

 

La côte de la Montagne à Québec en face de l'archevêché vers 1909-1910

(cliquer sur l'image pour l'agrandir) 


À l’époque, la neige est transportée à bord de « banneaux », c’est-à-dire des charrettes tirées par un cheval. 

[…]

Selon l’historien Jean-François Caron, la Ville de Québec aurait entrepris de peindre ses « banneaux à neige » en bleu, à partir de 1919. À la blague, on raconte que cela aurait donné naissance à l’expression « être bleu de rage »...

Le Soleil, 24 février 2025

 

Cette citation du Soleil me fournit l’occasion de voir comment nos dictionnaires « nationaux » traitent un québécisme devenu archaïsme.

Le mot banneau est présent et défini dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) : « Grande carriole basse ». On dit que c’est un « canadianisme folklorique ou populaire ». La fiche date de 1985. C’est pourquoi on n’a pas remplacé canadianisme par québécisme et qu’on ne dit pas si le mot est acceptable « dans la norme sociolinguistique du français standard en usage au Québec ». Ce dernier renseignement fait cruellement défaut.

Banneau est abondamment attesté dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec mais il ne figure pas dans le Dictionnaire historique du français québécois.

Le dictionnaire en ligne Usito est plus complet que le GDT : « [Q/C] 1) Grande carriole basse. Se promener en banneau. » ; 2) Voiture de charge hippomobile ou tirée par des bœufs, sur roues ou sur patins; son contenu. Transporter des légumes dans un banneau. Un banneau de terre, de pierres. ‘ le cheval s’en était allé plus loin avec son banneau et [...] mangeait à pleine gueule du beau blé d’inde’ (D. Potvin, 1925). » Pour le second sens, Usito reprend le Trésor de la langue française de Nancy (TLFi) mais en supprimant la définition « tombereau » et en omettant que le mot est aussi un régionalisme en France :

Région. (Normandie, Canada). Tombereau :

1. ... ils entreprirent d'épierrer la butte. Un banneau emportait les cailloux. Tout le long de l'année, du matin jusqu'au soir, par la pluie, par le soleil, on voyait l'éternel banneau avec le même homme et le même cheval, gravir, descendre et remonter la petite colline. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, t. 1, 1880, p. 30.

− Le contenu de ce tombereau :

2. − Des ossements... des crânes? − Mais oui, Monsieur; si vous croyez qu'on prenait le temps des fosses! Après les luttes, ici, hop! que je te cule et te bascule, au trou! en vrague; tant que ça pouvait! Un banneau de terre par-dessus, et on va à l'autre bout du champ... J. de La Varende, Les Manants du roi,1938, p. 145.

 

À l’entrée tombereau, Usito ne fait pas de renvoi à banneau. Ce qui est un peu étonnant dans un dictionnaire censé faire la valorisation du français québécois. Il peut être intéressant de prendre la définition de tombereau du TLFi…

« Voiture de charge hippomobile ou tirée par des bœufs, composée d'une caisse montée sur des roues et qui peut être déchargée en basculant en arrière »

… et de la comparer avec celle d’Usito :

« Voiture de charge hippomobile ou tirée par des bœufs, composée d'une caisse montée sur des roues et qui peut être déchargée en basculant en arrière. »

Les mots de la définition supprimés par Usito ne sont pas anodins, ils situent chronologiquement le véhicule.

 

lundi 24 février 2025

La fleur de nos dictionnaires


Je suis en train de lire l’ouvrage de l’historien Richard Lagrange Le pays rêvé du curé Labelle, emparons-nous du sol, de la vallée de l’Ottawa jusqu’au Manitoba (Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Perspectives de l’Ouest », 2021). Les PUL ont fait un travail d’édition qui me semble plutôt sommaire mais qui a laissé fort peu de coquilles. Les problèmes se situent ailleurs. Cela commence dès le tout début du livre où on peut lire « couverture arrière » (back cover, quatrième de couverture). Le style est maladroit : plusieurs passages auraient mérité d’être récrits du point de vue du temps des verbes, ce qui aurait rendu la lecture plus fluide (à quelques endroits, on se demande si l’événement est antérieur ou postérieur à tel autre et il faut relire tout un paragraphe pour s’y retrouver). Quelques exemples de maladresses : dans la légende d’une photo (p. 82), on trouve « au-devant » plutôt qu’« au premier plan » ou « à l’avant-plan »; « Le curé Labelle a toujours prodigué une agriculture de montagnes orientée vers l’élevage » (p. 97), « des 116 familles installées dans Marchand, une centaine d’entre elles… » (p. 98), « dans chaque canton, on y trouvait » (p. 105). Évidemment, on comprend que dans le cas d’ouvrages « nichés » il est économiquement préférable de limiter les frais d’édition.

Si je prends ce livre comme objet de mon billet d’aujourd’hui, c’est que j’y ai trouvé cette phrase écrite en 1891 par le curé Boisseau et dont le sens ne doit pas être évident pour une majorité de nos contemporains, surtout les plus jeunes : « Chaque jour on vient pleurer chez moi et [on] me demande un peu de fleur » (p. 86). Demander un peu de fleur ?

Ce n’est pas en se tournant vers le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) qu’on trouvera facilement la réponse. En tapant « fleur », on obtient 283 résultats. La réponse à ma question s’y trouve peut-être, je n’ai pas pris la peine de chercher. Ce seul exemple montre à quel point ce dictionnaire terminologique n’est pas fait pour le citoyen lambda même dans les cas où il n’y a qu’une dizaine de résultats. On se demande pourquoi le GDT continue d’enregistrer des usages non terminologiques qui ne font qu’ajouter à la confusion.

Évidemment, je savais qu’on pouvait acheter de la fleur, cinq livres de fleur, même cent livres de fleur. Je n’ai trouvé de cette expression que de rares attestations dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec : « 25 livres de fleur » (dans un document datant de 1949 des Archives de folklore de l’Université Laval). On trouve le mot chez André Mathieu, Geneviève Guèvremont, Michel Tremblay. Il s’agit tout simplement de farine. Ce sens n’est pas attesté dans le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (le Robert québécois), dans le Dictionnaire historique du français québécois ou dans Usito (qui a toutefois fleur de farine).

Pour trouver le sens de ce québécisme il faut consulter un dictionnaire franco-français, le Trésor de la langue française de Nancy : « Région. (Canada). Synon. de farine. Le lundi matin on ouvrait une poche de fleur et on se faisait des crêpes plein un siau (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 75). »

Le mot fleur est passé en anglais sous la forme flour. Voici ce qu’en dit le Webster :

Middle English flour, flur "blossom of a plant, prime of life, best of a class, ground wheat free of bran," borrowed from Anglo-French flour, flur "blossom of a plant, paragon, best part, ground grain free of bran".

 

 

jeudi 20 février 2025

In memoriam Jean-Denis Gendron

J’apprends en lisant le journal ce matin le décès du linguiste Jean-Denis Gendron, ancien président de la commission d’enquête du même nom et ancien professeur à l’Université Laval. L’un des premiers billets de ce blog portait sur son livre D'où vient l'accent des Québécois ? Et celui des Parisiens ? Essai sur l'origine des accents. Contribution à l'histoire de la prononciation du français moderne (2007) : cliquer ici.

 

 

mardi 18 février 2025

Au pays des gratteux


Hier, je trouve ce titre dans la page d’accueil du site du quotidien Le Soleil de Québec :

 


Je commence par regarder ce que dit le Robert québécois (Dictionnaire québécois d’aujourd’hui) du mot grattage : « Action de gratter. Le grattage d’un vieux papier peint. Le grattage d’une entrée ». Deux remarques sur les exemples. Le dictionnaire généralement fort québéquisant n’utilise pas « tapisserie », mot pourtant courant pour désigner le papier peint. Ensuite, si on n’est pas Québécois, on ne peut savoir que le grattage de l’entrée a pour objet d’en enlever la neige.

Le dictionnaire en ligne Usito n’est guère plus satisfaisant : « Action de gratter; son résultat. Grattage du sol. » Aucune mention du grattage des rues en hiver.

Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) a plusieurs fiches portant sur grattage mais aucune qui concerne l’hiver. Mais il n’a bien sûr pas oublié de consigner gratte et charrue (à neige), « termes utilisé dans certains contextes ».

Grattage, gratte et charrue ne figurent même pas dans le Trésor de la langue française au Québec.

Voilà la description de l’usage d’un mot québécois ordinaire et courant dans nos ouvrages de référence.

 

mercredi 29 janvier 2025

L’écriture inclusive et ses dérives

 


Marine Tondelier a depuis corrigé son message.

Elle n’est pas la seule députée écologiste à avoir des problèmes avec l’écriture inclusive : cliquer ici.

 

dimanche 19 janvier 2025

Petites vacheries entre linguistes

(Ceci est mon 1000e billet.)


Le 11 janvier, Lionel Meney annonçait sur le fil de discussion d’un réseau de chercheurs la parution de son ouvrage La sociolinguistique entre science et idéologie. Une réponse aux Linguistes atterré·e·s (Paris, Hermann, 2024). Je vais raconter la « discussion » qui a suivi en omettant de donner les noms.

Moins de deux heures après l’annonce faite par Lionel Meney, une linguiste subcarpathique qui se présente comme « membre fondatrice du collectif des Linguistes atterré·e·s » alerte le réseau sur cette menace : « nous avons récemment reçu deux annonces de parution de la part de Lionel Meney pour ses essais qui défendent des idées contraires à celles que nous défendons et nous enseignons en sociolinguistique ». La Sorbonne Nouvelle est prête à lutter contre l’hérésie avec la même énergie que la vieille Sorbonne, qu’on se le tienne pour dit. Il n’y a pas place à la discussion : c’est la même attitude que celle de la papauté face aux thèses de Luther.

 

Excursus sur la doxa

« Idées contraires à celles que nous défendons et nous enseignons en sociolinguistique ». Les propos tenus par les Atterré·e·s ne font pas tous l’unanimité parmi la communauté des linguistes. C’est notamment le cas de leur position sur l’écriture inclusive. Trois ans avant la sortie de leur tract, 32 linguistes avaient publié dans Marianne une tribune contre l’écriture inclusive : cliquer ici et ici.

 

L’Atterrée ajoute : « Tout comme nos collègues hors de France qui ne connaissent pas (souvent) Alain Bentolila et les polémiques qu'il suscite depuis des années, de la même manière les collègues hors du Canada ne connaissent pas Lionel Meney, ses provocations, et les polémiques qu'il alimente depuis de nombreuses années. » Je ne vois pas le bien-fondé de cette reductio ad Bentolilam. J’imagine que ce genre d’argument pouvait s’entendre dans une république populaire.

Croyant affermir son argumentation, la membre fondatrice suggère comme antidote la lecture d’un compte-rendu d’un livre de Meney publié en 2010 comme si la critique de l’un pouvait automatiquement s’appliquer à l’autre.

Trois quarts d’heure plus tard, un collègue la remerciera « pour cette contextualisation fort utile et bien nécessaire ».

Meney rétorque : « c’est pour répondre à la prétention de ces linguistes de s’appuyer sur la science afin de défendre en fait une idéologie que j’ai rédigé La sociolinguistique entre science et idéologie. Une réponse aux Linguistes atterrées ». Il regrette que la dame « se livre à une attaque ad hominem, peu digne d’une discussion académique, plutôt que de dire en quoi mon argumentation lui semble erronée ».

Le sociolinguiste qui est intervenu en faveur de la membre fondatrice revient ensuite à la charge : « Sans parler à la place de ma consœur, ce n'est pas forcément à elle d'indiquer en quoi l'argumentation est erronée. Je me permets ici, par malice, de faire appel à la fameuse loi dite de Brandolini, qui selon laquelle "la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des sottises […] est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire" ». Qui selon laquelle [sic]. Donc la consœur peut « contextualiser », comme elle dit, sans avoir à lire l’ouvrage qu’elle contextualise. Comme elle l’avouera un peu plus tard : « Je n'aurai pas le temps de lire son essai [= de Meney], mes activités universitaires et mes centres d'intérêt ne me laissent pas ce temps ».

 

Excursus sur la loi de Brandolini

Le confrère cite la définition suivante de cette loi : « la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des sottises […] est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ». L’ouvrage de Meney est bien la preuve qu’il faut des dizaines et des dizaines d’heures pour réfuter des sottises. N’est-ce pas ?

 

Le confrère et la consœur discréditent un ouvrage sans l’avoir lu. Meney fera remarquer qu’« en bonne méthode » il faut d’abord lire un livre avant de le critiquer.

Un membre de l’Institut, appuyé par un linguiste éminent, viendra mettre un terme à ces échanges :

Permettez-moi de vous rappeler que les discussions [sur le fil du réseau] ne sont pas là pour satisfaire le "bashing" que certaines souhaiteraient faire sur un.e collègue, futur.e collègue, ou ancien.ne collègue.

Ce genre de discussion, sous couvert d'avis plus ou moins scientifiquement justifiés, ne sont simplement que le reflet d'un désaccord profond que tel.le ou tel.le chercheur.e pourrait envoyer envers un.e autre. 

Cela ne fait surtout pas avancer la communauté scientifique, dont je me suis volontairement extrait, précisément à cause de ce genre de querelles un peu puériles.

Dans son Carnet d’un linguiste, Lionel Meney décrit cet incident comme du totalitarisme, du sectarisme, du mépris, de l’injure et de la diffamation : cliquer ici.

 


jeudi 16 janvier 2025

Ça s’entend


Entendu sur la première chaîne de la radio publique canadienne (Ici Première) le 16 décembre 2025 à 10 h 31 : « je ne veux pas être rabat-joise ».

L’ex-ministre Line Beauchamp nous avait déjà servi le féminin pantoite.